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28 décembre 2008 7 28 /12 /décembre /2008 08:00

Cette année voit arriver un événement capital pour l'avenir de L'UFM.  En effet, la Compagnie Générale de Conserves doit trouver une solution pour éviter la déconfiture, ou plutôt, son banquier principal, la caisse nationale de crédit agricole, doit en trouver une. En effet la caisse nationale a mis son doigt dans l'engrenage et n'a jamais su le retirer en se faisant mal. Elle est devenue peu à peu gestionnaire de fait en nommant des directeurs généraux issus de ses rangs pour tenter de redresser la barre et en comblant les pertes successives.

 

    Comment la CGC en est-elle arrivée à cette situation?

Je vais tenter de vous en donner les raisons, en essayant d'être aussi clair que possible, alors que ces raisons sont multiples et en évitant de faire le procès des hommes qui la dirigeaient dans un contexte qu'ils avaient eux-mêmes rendu difficile.

Pour vous faire comprendre la situation, il me faut vous donner la structure juridique, les statuts et le règlement intérieur de la CGC.

La structure juridique est celle d'une société anonyme d'intérêt collectif agricole (SICA) à capital et personnel variables régie par la loi du 24 juillet 1867.

Les statuts sont complétés par un règlement intérieur, très contraignant, approuvé par le conseil d'administration ou la gérance de chaque société actionnaire. Ce règlement précise les règles de fonctionnement de la société, les attributions du conseil d'administration, les conditions dans lesquelles doivent être convoquées les réunions techniques de culture et de fabrication.

Des instructions particulières, relatives aux différents objets: agronomique, technique et commercial, complètent cette réglementation générale.

Dans ce cadre, les responsabilités et les missions des sociétés adhérentes et de la société centrale peuvent être résumées schématiquement ainsi:

I- La société centrale reçoit de ses adhérents mission:

    1°- d'étudier le marché,

    2°- de fixer le programme de production en fonction des possibilités du marché,

    3°- d'établir les normes de qualité,

    4°- de réaliser les contrôles nécessaires à la garantie d'une qualité optimale,

    5°- de grouper les achats de conditionnement,

    6°-de répartir un crédit de campagne unique selon les besoins de chaque sociétaire,

    7°- d'assurer la commercialisation à travers les circuits de distribution,

    8°- de déterminer, grâce à une comptabilité analytique centralisée, le prix de revient de chaque article,

    9°- d'apporter l'aide et l'assistance technique nécessaires aux usines pour les fabrications en cours et pour les fabrications nouvelles,

    10°- de faire progresser de façon constante les standards de qualité des produits fabriqués dans les différentes usines et destinés à être vendus sous la marque commune,

    11°- de fournir les multiples conseils de gestion et les services divers nécessaires au bon fonctionnement du groupe.

 

II - Chaque société adhérente a pour missions essentielles:

    1°- la production dans les conditions définies par le programme de fabrication, élaboré par le conseil d'administration de la société centrale, après acceptation par chaque sociétaire adhérent pour ce qui la concerne,

    2°- le respect des qualités conformes aux cahiers des charges,

    3°- le maintien de sa structure technique et financière et son adaptation à l'évolution de l'industrie de la conserve avec l'aide technique de la société centrale.

 

Il suffit d'analyser ce règlement intérieur pour se rendre compte qu'il a été conçu par des personnes qui souhaitaient avoir une mainmise complète sur les outils de production.

Fixer ou plutôt imposer les programmes de chacune des usines, les normes de production, acheter les conditionnements, répartir les crédits de campagne négociés par la société commerciale, tenir la comptabilité analytique des usines pour fixer ensuite le prix d'achat des produits finis, apporter l'assistance technique industrielle et agricole, donner des conseils de gestion dépassait largement le cadre de l'activité normale d'une société commerciale.

Pour appliquer ce règlement, la CGC s'est immédiatement dotée d'un service achat, d'un service technique industriel et investissement, d'un centre de recherche agronomique, d'un service logistique, d'un service de contrôle de gestion et de comptabilité, organisé des réunions de formation et d'information pour ces directeurs d'usines campagnards et certainement incultes. Pour étiqueter, conditionner, regrouper les produits vendus aux centrales d'achat, elle a créé des centres de conditionnements avec un service ordonnancement basé à Paris. L'UFM a été promu magasin central chargé de regrouper les productions bretonnes et de réaliser les expéditions très fractionnées vers les magasins des distributeurs. Seules les grosses commandes, en un ou deux lots au maximum, pouvaient être expédiées directement par les usines fabricantes.

Quand nous avons pris connaissance de ce règlement intérieur, je me souviens que la réaction de F. Collas a été de prendre son téléphone pour dire son désaccord à M. Le Bot qui l'avaient négocié avec les autres directeurs des sociétés adhérentes. Je sentais qu'il avait envie de hurler. Il a appelé la Cecab, devant moi, mais se ravisant au dernier moment, il a demandé le responsable du service culture M. Le Roux. Après quelques mots d'usage, il lui a expliqué ce qui pouvait l'intéresser dans ce règlement intérieur et donné sa position, lui demandant de n'accepter aucun contact avec la CGC avant de l'avoir vu.

En raccrochant, il m'a dit : - «Personne ne se mêlera de mes affaires, pas plus les gens de Vannes que ceux de la CGC.  On se battra, vous ne laissez personne entrer dans l'usine sans mon autorisation. Si, à l'avenir, vous aviez une personne de la Cecab ou de la CGC au téléphone vous avertissant de son passage ici, vous me le passerez.»

Il vient d'être nommé directeur de l'UFM, nous sommes fin 1972, il vient de prendre connaissance des dossiers que lui a laissés son prédécesseur. La bataille avec la Sica CGC va durer sept ans. Ce règlement est théoriquement en application depuis 1966. J'apprendrais plus tard qu'il était déjà contesté par certaines usines et mal appliqué.

Avec la création de tous ces services, la CGC était devenue importante, du moins en nombre de salariés. Certains de ces salariés ne sont rentrés dans l'usine de Locminé qu'encadrés, mis à part les contrôleurs de qualité avec qui l'usine entretenait les meilleures relations et pour cause. En effet, ces contrôleurs étaient chargés du classement des fabrications, classement qui déterminait le prix d'achat de la CGC et les quantités disponibles pour faire du libre commerce.

Nous avions, M. Collas et moi, adopté une stratégie simple: regagner en douceur une autonomie complète. Pour cela ne jamais donner d'informations analytiques ou comptables, avoir le minimum de contacts avec les services autres que commerciaux ou qualité, tourner le règlement intérieur pour user au maximum de la CGC et faire le plus de profits possibles.

Faire le plus de profits possibles. Ce sera le seul but, la seule pensée lancinante de tous les instants, du directeur de l'usine de Locminé, faire le plus de profits possibles.

Pour réaliser ces profits :

- discuter âprement le prix de reprise des fabrications vendues à la CGC et le calendrier de paiement qui était établi en fonction des ventes et de l'importance des fabrications de chacune des usines,

- ne pas accepter de dévoiler nos prix de revient industriels, pour que la CGC se base sur ses prix de vente ou sur les prix de revient des autres sociétaires qui avaient des performances industrielles beaucoup moins bonnes que les notres. F. Collas en était persuadé,

- vendre à des grossistes, à des courtiers ou à des confrères, le maximum de marchandises négociées à un prix supérieur au prix de reprise de la CGC. Ceci en contravention avec le règlement intérieur.

Pour ne pas être en infraction flagrante avec le règlement intérieur, il suffisait de déclasser, ou mieux, de faire déclasser des fabrications en qualité incommercialisable par la CGC. Certaines années, l'UFM a vendu le tiers de sa production de cette façon à des prix très supérieurs aux prix de reprise. Il faut dire que les responsables de la CGC étaient de connivence, sans le dire évidemment, avec le directeur de l'UFM. En effet, vendant, certaines années, avec beaucoup de difficulté les productions des sociétaires, ils étaient contents qu'une partie de la production de l'UFM parte à gauche. Cette complicité n'était pas saine évidemment. La CGC manquera certaines années, dans certaines fabrications, de marchandise pour honorer ses marchés, ce qui était catastrophique commercialement.

- produire à des coûts les plus faibles possibles. Pour cela faire tourner le matériel au maximum de ses capacités techniques, donc faire une production de masse en maîtrisant tous les postes de dépenses, en veillant au respect des normes de qualité, sans plus. La production sera quadruplée en cinq ans en ne faisant que des investissements rentables à courts termes, pour dégager les résultats nécessaires pour l'avenir.

 

La CGC ne vendait pas moins cher que ses concurrents, mais ses frais de marketing, ses lancements de nouveaux produits, ses promotions, ses frais publicitaires, et tous ses autres postes de frais résultant de son désir de domination, lui interdisaient de payer à ses sociétaires un prix de reprise suffisant pour assurer leur pérennité. Certains sociétaires ne pouvant vivre avec ces prix ont été contraints au dépôt de bilan ou ont repris leur liberté. Les autres survivants devaient leur vie aux groupes auxquels ils étaient adossés ou, comme le groupe conserves UFM, parce qu'ils transgressaient le règlement intérieur de la CGC et suivaient une politique industrielle très rigoureuse.

Malgré cela, le prix de reprise était encore trop élevé pour que la CGC puisse couvrir la totalité de ses frais, ce qui sera l'une des causes de la crise de 1979. Une autre cause sera son incompétence à gérer ses propres outils industriels de Warluis, du Plessis Belleville et de Moyenneville qui, par ailleurs, créaient un climat de suspicion. En effet, les sociétaires soupçonnaient, à juste raison, la société commerciale d'avantager ses usines dans l'affectation des programmes, le cadencement des paiements, le classement de leurs fabrications, les services rendus gratuitement et payés indirectement par la fixation des prix de reprise qui tenaient compte des dépenses de la CGC.

Il faut dire, qu'à l'évidence, les méthodes de l'UFM dont je vous ai déjà entretenues, parfois imitées par d'autres sociétaires, n'ont pu que contribuer à l'échec de la CGC en la privant de certaines fabrications qui lui étaient indispensables. En 1976-77, année de la grande sècheresse en France, la CGC ne verra que le tiers des productions habituelles de l'UFM. Le marché en direct lui était évidemment très favorable et générait des marges exceptionnelles. Jamais son bilan annuel n'aura été et ne sera aussi bon que cette année-là.

En 1978, la CGC était devenu pour l'UFM un client qui, en plus des autres, lui garantissait de prendre sa production à un prix convenable, compte tenu de sa bonne productivité, pour le cas où elle n'arriverait pas à l'écouler ailleurs à des prix plus favorables.

Cette situation ne pouvait durer. La CGC commerciale, comme la CGC industrielle, était incapable d'équilibrer ses comptes. Elle était gérée par des hommes qui auraient dû être exceptionnels, épaulés par tous, pour remettre cette société en ordre de marche. Ils n'en ont jamais eu le pouvoir, les administrateurs sociétaires tiraient à hue et à dia au gré de leurs intérêts du moment, sans vision à long terme. La CGC était devenu un mammouth ingouvernable, sa lourdeur lui tenant lieu d'intelligence. Chacun rejetait sans pudeur les problèmes vers le banquier qui aurait mieux fait de se cantonner à son rôle de prêteur, sans se mêler de la gestion. Ainsi, il n'aurait pas été considéré comme gestionnaire de fait. Cette situation va finalement s'avérer particulièrement profitable à l'UFM, ce qu'elle ne méritait peut-être pas...

Donc en 1979, la caisse nationale de crédit agricole après avoir montré trop de patience et son incapacité à diriger la CGC, finit après de multiples contorsions par faire accepter aux sociétaires survivants, la Cecab, la Coop Quercy à Cahors, l'union Loire et Cher de Blois dont l'usine est située à Contres et aux autres conserveurs français, en particulier la SA Bonduelle, partenaires du crédit agricole, de découper la CGC en morceaux et de les répartir.

A l'issue de ce découpage, l'UFM devient majoritaire à 66% dans le capital de la CGC, de l'usine du Plessis Belleville (Oise) dont le directeur est monsieur Chartier et des magasins centraux de Rémy (Oise) et de St Etienne de Monluc, près de Nantes, ainsi que de la marque d'Aucy et du réseau de distribution Grona en Allemagne. Les partenaires dans la CGC sont : Coop Quercy à Cahors et l' Union Loir et Cher à Blois qui obtiennent les 33% restants du capital à partager avec la caisse nationale devenue très prudemment minoritaire.

Les autres: les Maraîchers Nantais, La Catalane, Damard, Grégoire, Catillon, Wissembourg ont disparus et le Coat Ker à Quimperlé et copdor à Bergerac ont repris leur liberté. Les usines de Moyenneville et warluis sont affectés à Bonduelle pour éviter de désiquilibrer l'importance relative des conserveurs français. Les fabrications de plats cuisinés de Moyenneville et leur commercialisation resteront CGC et seront reprises par L'UFM en 1982.

Il faut reconnaître que la CECAB (M. Le Bot), Coop Quercy et l'Union Blois semblent avoir bien négocié avec la caisse nationale, à moins que ce ne soit la Caisse Nationale qui ait imposé ses vues. La CGC pouvait repartir sur des bases saines à la condition de réformer radicalement son fonctionnement, ce qui ne sera pas fait immédiatement, nous le verrons. La CGC va continuer à fonctionner avec les mêmes statuts, le même règlement intérieur, les mêmes hommes. Elle était dirigée par un homme de la Caisse Nationale, elle l'est maintenant par la CECAB et les adhérents restants, donc par P. Le Bot secondé par P. Lapeyre qui prennent l'avis de Coop Quercy et de l'Union de Blois. Les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets.

 

- Constitution du groupe conserves UFM dont F. Collas devient le directeur, de fait, sans nomination officielle. Il lui est confié la direction de l'UFM, de la Conserverie Morbihannaise et du Plessis Belleville.

 

La CGC et les restes industriels (Sica de Pont Aven, magasins centraux et l'atelier de fabrication de surgelés de Temple sur Lot) restent sous la responsabilité de la CGC, donc de messieurs Lapeyre et Le Bot. Ils ne s'en occupent que de loin et mal évidemment, faute de temps. Sur le plan de la gestion, rien n'est réglé. Un nouveau directeur général CGC est recruté. F. Collas s'est opposé à la nomination de G.Andrin, ce qui a poussé le DG a embaucher une personne de l'extérieur. Je ne sais pas qu'elle a été l'influence de la Caisse Nationale dans cette nomination. Ce monsieur Lazarus, nouveau directeur commercial, opérait jusqu'alors dans la transformation des champignons de Paris où il s'était fait une réputation de bon gestionnaire. Monsieur Matricon, le directeur financier, qui travaille à la CGC depuis sa création, rêve depuis des années d'en devenir le directeur général. Il commence immédiatement son travail de sape comme il l'a toujours fait depuis dix ans. Il a coutume de dire: « Je verrouille, pour éviter les dérapages ». Il verrouille si bien que personne ne peut plus bouger un petit doigt. Il freine ou empêche toute évolution de l'entreprise qui vit dans un monde en plein mouvement. Il ne manque pas de capacités techniques ni de dévouement pour son entreprise, mais, c'est un passéiste qui a arrêté son évolution le jour où il a reçu son diplôme d'HEC. Lazarus va devoir rapidement engager un combat, qui, s'il le perd, lui enlèvera toute chance de réussite à la tête de la CGC. F. Collas surveille le combat de loin. Malgré son peu de contact avec la société commerciale, il a su créer des liens avec deux ou trois personnes qui sauront l'informer de la tournure des événements.

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